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La route des épices

Du poivre à la cannelle, la passion au rendez-vous

« Dieu a fait l’aliment, le diable l’assaisonnement ». Si l’on observe l’histoire des épices, cette formule culinaire de James Joyce semble tout à fait fondée : depuis l’Égypte ancienne, les hommes n’ont en effet cessé d’alterner diplomatie et violence pour parvenir à mettre la main sur les fameuses épices.

Venues des pays lointains et donc rares, chères mais aussi mystérieuses, ces plantes faciles à transporter sont vite devenues le symbole d’un luxe bien sûr indispensable. Retraçons l’histoire de cette première mondialisation qui entraîna dans son sillage aromatisé les plus grandes puissances, soudainement avides de petits plats relevés.

Paolo Barbieri, La Boutique d'épices, 1637, Pinacoteca Comunale, Spoleto

Vous avez dit « épices » ?

Avant 1150, nulle « épice » en langue française, mais des « aromates » issus du grec et déjà présents dans la Bible. Il faut donc attendre le Moyen Âge pour que s’impose ce mot dérivé du latin species désignant toutes denrées spéciales.

Guillaume Le Testu, Iles aux épices (Indonésie), Cosmographie universelle, 1555, Bibliothèque du Service Historique de l’Armée de Terre, Vincennes

Parmi celles-ci, ne soyez pas surpris de trouver produits de luxe et drogues vendues en pharmacie ! Puis le sens se réduit jusqu’à désigner des « substances aromatiques tirées de certains végétaux (écorces, racines, feuilles, fleurs, gousses, graines fruits, originaires de l’Inde, de l’Afrique tropicale, de l’Amérique. On les emploie comme condiments pour relever la saveur des mets, pour parfumer les boissons ou activer les fonctions de l’estomac » (Grande Encyclopédie). Il n’est donc pas étrange de trouver à l’époque médiévale parmi ces produits le riz ou encore le sucre de canne, le fameux « miel de roseau ».

Très chères, les épices ont longtemps servi de monnaie d’échange, au point d’être à l’origine de notre expression « payer en espèces » ! Elles ont d’ailleurs fini par donner leur nom à un impôt, comme l’aime à le rappeler l’article de L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert :
« EPICES, (Jurisprud.) sont des droits en argent que les juges de plusieurs tribunaux sont autorisés à recevoir des parties pour la visite des procès par écrit. Ces sortes de rétributions sont appellées en Droit sportulae ou species, qui signifioit toutes sortes de fruits en général, & singulierement les aromates ; d’où l’on a fait en françois épices, terme qui comprenoit autrefois toutes sortes de confitures, parce qu’avant la découverte des Indes, & que l’on eût l’usage du sucre, on faisoit confire les fruits avec des aromates ; on faisoit aux juges des présens de ces sortes de fruits, ce qui leur fit donner le nom d’épices ».

C’est bien sûr pour l’auteur l’occasion non de parler cuisine, mais taxes et puissance des juges.

Premières victimes de la fièvre

Des arbres à myrrhe plantés sur une terrasse du grand temple de Deir el-Bahari : voici un des plus beaux symboles de l’importance prise par les épices dans l’histoire des grandes civilisations ! C’est à une femme têtue, le pharaon Hatshepsout, qu’on le doit puisque c’est elle qui organisa une des premières grandes expéditions à destination du Pays de Pount (sud de l’Arabie ou côte somalienne).

Expédition au pays de Pount, bas-relief du temple de Deir el-Bahari, XVe s. av. J.-C., Égypte

Il est vrai que l’Égypte ne pouvait ignorer ce trésor : placé au coeur du monde méditerranéen, ce pays sert de plaque tournante pour les productions et les acheteurs. Tous dans la vallée du Nil !

Cueilleuse de safran, fresque d'Akrotiri, Santorin, 1500 av. J.-C., Athènes, Musée national archéologique

Carrefour incontournable pour les amateurs de produits piquants, on s’y approvisionne d’un côté sur « la Côte des épices » somalienne et l’Arabie heureuse (Yémen), et de l’autre sur les marchés de Mésopotamie, eux-mêmes ravitaillés par les caravanes chamelières venues des régions de l’Indus.

Cotonnades, huiles et épices contre corail méditerranéen et ambre de la Baltique, les affaires vont bon train ! Des banquets de Sardanapale aux bagages de la reine de Saba en visite chez Salomon, les épices font alors fureur !

Par la suite les Crétois puis les Grecs, jusque-là peu réputés pour leurs talents culinaires, succombent à leur tour : il faut dire que les soldats d’Alexandre ont fait une belle promotion de la cannelle et autre sésame.

« Dieu a fait l’aliment, le diable l’assaisonnement ». Si l’on observe l’histoire des épices, cette formule culinaire de James Joyce semble tout à fait fondée : depuis l’Égypte ancienne, les hommes n’ont en effet cessé d’alterner diplomatie et violence pour parvenir à mettre la main sur les fameuses épices.

Venues des pays lointains et donc rares, chères mais aussi mystérieuses, ces plantes faciles à transporter sont vite devenues le symbole d’un luxe bien sûr indispensable. Retraçons l’histoire de cette première mondialisation qui entraîna dans son sillage aromatisé les plus grandes puissances, soudainement avides de petits plats relevés.

par Isabelle Grégor